L'età del dubbio/l'âge du doute

Concetta Modica e Sophie Usunier sono state invitate in residenza in Sicilia per un mese. Confessioni, paure, dibattiti tra le due artiste su L'ETÀ DEL DUBBIO che si è concluso in una mostra.

“Il lavoro si baserà sulla nostra convivenza, sulla condivisione degli spazi, sul nostro modo di lavorare sia insieme che individualmente, su come ci relazioneremo con la città. Una di noi conosce la Sicilia da sempre e l’altra la vede per la prima volta, gli occhi di ognuno faranno da filtro per l’altra”.

Le artiste hanno invitato per l'occasione Francesca Alfano Miglietti, Luigi Fassi, Francesco Lauretta, Francesco Lucifora, Don Antonio Sparacino.

* Concetta Modica et Sophie Usunier ont été invitées en résidence qu'elles ont intitulée L'ETÀ DEL DUBBIO (l’âge du doute). Confession, peurs, débats entre les deux artistes sur ce thème qui s'est conclu par une exposition.


“Le travail se basera sur notre cohabitation, sur le partage du lieu, sur notre mode de travailler que ce soit ensemble ou individuellement, sur notre relation à la ville de Sicily. Une d’entre nous connait Scicli depuis toujours, et l’autre la voit pour la première fois, Nos propres yeux serviront de filtre à l’autre”.


Les artistes ont invité pour l’occasion Francesca Alfano Miglietti, Luigi Fassi, Francesco Lauretta, Francesco Lucifora, don Antonio Sparacino.




giovedì 3 luglio 2014


Entre agir et penser, douter ou hésiter voilà la question…

Je peux douter d’avoir avalé mon médicament ce matin, fermé le gaz et la porte à clefs en quittant mon domicile, bref je peux douter de toutes les actions accomplies quotidiennement qui relèvent d’une certaine automaticité du corps et de l'esprit. C’est en effet à la frontière entre perception et aperception que le doute s’insinue. La conscience double mes actes comme une seconde peau et, fragile, laisse parfois planer le doute sur leur réalité : elle signe et voile ma présence au monde, comme la peau rend sensible, protège et isole en même temps. Au fond douter c’est toujours douter d’exister. Qui m’assurera jamais de la réalité des choses et des êtres qui m’entourent ? De ma propre réalité ? Qui m’assurera d’être vraiment éveillé ? La vie n’est peut-être qu’un « songe bien lié » songeait Leibniz. Au contraire par un mouvement inverse le doute signait pour Descartes la preuve indubitable de l’existence du douteur : «  ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n'étais point ? Non certes, j'étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j'ai pensé quelque chose.»

Douter semble différer d’hésiter : dans l’hésitation face à un choix qui engage mon avenir - comme si j’étais ce personnage de conte pétrifié devant deux portes entre lesquelles il doit choisir - la conscience semble entièrement mobilisée : vigilance et présence à soi sont poussées à l’extrême. L’hésitation semble signer jusqu’à la douleur ma puissance et mon entière liberté. Si j’hésite n’est-ce pas que je peux choisir ? Choisir n’est ce pas risquer ? Or la vie presse, il faut agir, et la réflexion, l’évaluation des possibles, doivent cesser sous peine de périr sur place comme l’âne célèbre, mort de soif et de faim entre un seau et une botte de picotin. Et, nous ne pouvons pas agir dans la vie de façon fractionnée, rappelle William James, c’est à dire faire un pas d’un côté, puis un pas vers l’autre : « nous devons nous prononcer pour l’alternative la plus probable, et faire comme si l’autre n’existait pas, en nous exposant à subir le dommage entier si l’événement trompe notre confiance ». Et donc, oui, toute action est déchirement parce que, oui, d’autres vies sont possibles dans lesquelles je pourrais rencontrer la vraie princesse, devenir cosmonaute, médecin ou acteur, réaliser mon rêve le plus cher… « Toute détermination est négation » tranche Spinoza. Négation, c'est-à-dire renoncement, prix à payer pour décider ; décider c'est-à-dire exister.

Pourtant, face à une urgence absolue, un choix décisif, l’hésitation semble comme élevée à la puissance seconde : à l’instant où j’hésite, je m’interroge aussi sur la durée pendant laquelle l’incertitude est permise : j’hésite à hésiter en quelque sorte. Ce redoublement de l’hésitation signe l’apparition de l’angoisse, sentiment souvent commun au doute et à l’hésitation ; d’où le risque de confusion entre les deux notions. Comment donc les distinguer plus sûrement ? Le doute serait-il à la pensée ce que l’hésitation est à l’action ? Le doute porterait alors le signe indubitable de la pensée et de l’existence, comme l’hésitation le signe éclatant de la puissance et  de la liberté humaine. En effet, en voyant le cerf traqué tenter toutes les directions pour s’enfuir, peut-on vraiment dire que l’animal hésite ? N’épuise-t-il pas plutôt l’une après l’autre toutes les solutions, absorbé dans chacune, oubliant l’instant d’après la tentative précédente ? Oui, seul l’homme semble libre car il est seul capable de se souvenir ou d’anticiper, de douter et d’hésiter, et « il envie l’animal qui oublie aussitôt et qui voit vraiment mourir l’instant dès qu’il retombe dans la brume et la nuit et s’éteint à jamais. » (Nietzsche).

Les choses pourtant se complexifient si l’on conçoit les sensations, les émotions - voire toutes les formes de pensée - comme des réactions au monde, des actions esquissées, retenues, des commencements d’actions. Si, comme le dit Merleau-Ponty, le monde visible et celui de mes projets moteurs sont une seule et même chose. Dans cette perspective douter et hésiter se présenteraient comme notions jumelles, ce en faveur de quoi semble plaider le sentiment d’épuisement qui gagne souvent le douteur : sa pensée le balance d’un côté, de l’autre, ainsi jusqu’à l’infini. Faut-il se pendre ou attendre Godot ? Une question qui mérite bien que l’on tergiverse pendant toute une pièce ! Beckett, écrit Deleuze, est un écrivain "épuisé" Ou encore : faut-il « Etre ou n’être pas ? » Une hésitation qui ne fait pas nécessairement d’Hamlet le fils faible et fragile que l’on décrit souvent, mais plutôt le héros épuisé qui diffère indéfiniment le geste déjà accompli dans sa tête. A quoi bon agir si le meurtre n’ajoute rien à la pensée du meurtre ? A quoi bon agir une chose déjà pensée se demande l’obsessionnel, puisque pour ce névrosé penser et vivre sont une seule et même chose.

Et c’est bien cela que rumine sous la mousse le propriétaire mi-humain mi-animal du Terrier, dans la nouvelle de Kafka ; la construction et le réaménagement de son habitation souterraine sont des activités où épuisement mental et épuisement physique, doute et hésitation se confondent entièrement, comme dans le processus d’écriture mis en œuvre dans le récit.  Faut-il disperser les provisions dans les couloirs du Terrier-rhizome, pour survivre en cas d’attaque, ou, au contraire, les regrouper dans le cœur de la Citadelle pour mieux résister en cas de siège ? Incapable de décider, notre animal-propriétaire va s’épuiser en transports et en déplacements continuels…. Comment protéger son Terrier le plus efficacement ? En y vivant retranché ou en le surveillant depuis la surface, tapis derrière un arbre ? Mais, si l’on choisit cette deuxième hypothèse, comment soulever la trappe de mousse sans courir alors le risque d’exposer son entrée au moment où il faudra bien se décider à regagner les profondeurs ? « Je m’arrache à mes doutes, soupire l’étrange animal, et je cours droit à ma porte, en plein jour, dans l’inexcusable dessein de la lever, mais je ne peux pas, je la dépasse et je me jette exprès dans un buisson de ronces pour me punir d’une faute que je ne connais pas. »

Et c’est peut-être le sens profond du doute-hésitation que nous révèle la nouvelle de Kafka : acte en pensée ou pensée en acte, doute et hésitation ne vont jamais sans un implacable sentiment de culpabilité : mieux, le doute est l’autre nom de la culpabilité, celle des origines, celle d’Adam hésitant à manger la pomme, celle encore de Prométhée condamné à souffrir, les entrailles rongées par l’angoisse, pour avoir livré aux humains  la science et le feu : culpabilité d’avoir à considérer que l’on est homme c'est-à-dire condamné à penser par soi-même sa propre existence.

Jean Deloche



Le Terrier de Kafka
compagnie étrange peine, théâtre
ph: Martial Damblant
Jean Deloche