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De retour d'un voyage, bref mais intense, à Tirana (Albanie), peut-être que les nuages et le soleil m'ont amené à un "Eloge du doute".
Si je pense au doute et à l'état pour lequel on doute, je l'oppose à la certitude, c'est-à-dire au fait de ne pas se sentir sûr de ou pour quelque chose, de ne pas ressentir cette conviction qui pourrait dans un jeu de mot, nous faire dire et affirmer au contraire quelque chose "sans l'ombre d'un doute", "sans doute", etc.
Mais le doute est double. Les deux faces de la même médaille. Dans un sens, il a des aspects négatifs et d'autres positifs (ou mieux, proactifs).
Au niveau social, spécialement pendant ces dix dernières années, le doute tourmente (acception négative) et touche (acception positive) au peu près tout le monde.
Les certitudes d'un travail stable et durable n'existent plus (du moins dans les pays occidentaux de la vieille Europe), et cela est certainement une donnée significative pour comprendre l' "âge du doute" actuel- proposé et suggéré par Sophie Usunier et Concetta Modica.
Je crois que les personnes "touchées" par le doute sont plutôt nombreuses, et cela est une autre donnée évidente sinon comment pourrais je m'expliquer la diffusion d'une sorte d'insomnie épidémique qui a crée une augmentation croissante de la vente de médicaments psychopharmacologiques. Par contre, il y a aussi des formes d'éloge et de célébration de l'état de suspension crée par l'effet étourdissant et anesthésiant des Benzodiazépines. Qui de nous n'a jamais entendu parler de la diffusion des fêtes appelées " Xanax party" ? Mais ceci est un autre discours.
Contrairement au doute, au manque de confiance donc, je me demande si nous pourrions vraiment avoir pleinement confiance et espérance en nous même et dans les autres. C'est à dire sans douter de nous et des autres en remettant en question les certitudes. Je ne crois pas que ce soit possible. Mais je crois que la confiance est avant tout la confiance envers nos intuitions, c'est à dire envers ce qui nous fait (ou devrait nous faire) agir en premier. De plus, je ne pense pas non plus que nous pourrions vraiment avoir la pleine certitude d'avoir en retour, que ce soit au point de vue des sentiments comme des attentes. Au contraire, moins il y a d'attentes et plus grande est la gratification et la joie que nous pourrons recevoir.
Nos existences sont marquées par la recherche spasmodique et presque désespérée de sécurités constantes et permanentes. Et ceci dans tous les domaines de notre vie, de la demande de fidélité du partenaire, conventionnellement proclamé avec le mariage ou avec des formes contractuelles d'unions semblables, à la sécurité de l'emploi avec des Cdi, ou encore à des crédits et prêts financiers qui nous garantissent la propriété d'un bien qui tend à être immuable et irréversible. Tout cela est en substance un paradoxe, puisque nos vies ne sont pas constantes et immuables. Au contraire, elles sont continuellement en mouvement, comme le sont aussi les sentiments. Tout ce que je ressens intérieurement aujourd'hui et que j'essaie de nominer et de définir par des mots, sera différent de ce que j'éprouverai demain (même si le mot ne change pas, ex. amour, amitié, confiance, mais aussi ressentiment, colère, etc.)
Si nous savons et si nous considérons comme acquis que nos corps sont constitués d'émotions et que celles-ci nous rendent vivants (des frissons en superficie à tout ce qui est plus viscéral et qui est en gestation dans notre estomac), pourquoi devrait-on alors rechercher la stabilité? Je n'ai pas de réponse et ni même de certitudes. Au contraire, si on pouvait poser une question comme celle-ci à quelqu'un, je la poserais si c'était une personne, au doute lui -même.
L'émotion, et là je le souligne en m'appuyant sur l'étymologie du mot, est quelque chose "qui se meut et qui tend à extérioriser". Si c'est ainsi, pourquoi alors devrions nous "importer" la stabilité et la permanence?
Nous vivons en tous les cas un présent complètement nouveau par rapport aux générations précédentes.
Nous sommes continuellement tendus dans un temps qui semble ne pas nous projeter loin, je veux dire ni en arrière (en terme de nostalgie passéiste) ni en avant (sans perspectives à long terme). Le doute coïncide donc avec cette tension d'"être exactement dans l'aujourd’hui", un temps incertain qui correspond au moment contingent. Le présent, justement.
Par rapport à l'éloge du doute et du présent, je rappelle les paroles de Cesare Pietroiusti dans un entretien. Il invite à apprendre à "douter du doute lui-même". C'est seulement en doutant, et je le confirme, qu'on est en mouvement comme les émotions citées ci-dessus. Et en doutant, une chose ne s'arrête pas: la recherche de sens.
Bon doute à tous
Claudio Cravero